NYCC: Food for thought

Xavier Fournier

NYCC: Food for thought

NYCC: Food for thought

Xavier Fournier
12 octobre 2017

Il s’en est apparemment passé de belles à la New York Comic Con 2017, si j’en crois les commentaires, lesquels commentaires bien souvent n’y étaient pas plus que moi. Et j’ai envie de dire que par conséquent, par la force des choses, je n’y étais donc pas moins qu’eux. J’ai vu passer deux/trois choses sur des réseaux sociaux et finalement plutôt que de « flooder » dans différentes  discussions j’ai préféré en faire un seul texte, certes long, dans lequel je ne prétends pas détenir la vérité ultime mais en tout cas apporter quelques éclairages et peut-être un peu de recul. En effet, beaucoup de médias, aux USA comme ailleurs, confondent hâtivement la nature de deux événements pour mieux nous raconter comment Marvel n’a pas du tout mais alors pas du tout bien géré sa présence à ce salon emblématique de la BD américaine. Il n’y a pas de raison de vouloir épargner Marvel plus que de vouloir l’accabler. Et le premier événement, incontestablement, est une bourde monumentale, encore qu’il faille s’entendre sur sa nature. Par contre ne pas l’excuser n’empêche pas de vouloir le comprendre dans son contexte. Je dirais même que pour encore moins l’excuser, il est bon de s’être intéressé au contexte…

Sachez d’abord qu’il existe une branche « custom » de Marvel, distincte de l’éditorial de Marvel Comics, qui réalise des comics personnalisés à la demande pour des industriels, des sportifs ou même des stars de la pop. Plus largement Marvel Comics a aussi régulièrement édité des comics spéciaux des Avengers en l’honneur des forces armées américaines déployées à l’étranger. Sans doute est-ce cette activité existante qui a fait que, par habitude, personne n’a tiqué au moment de signer un partenariat avec la Northrop Grumman Corporation, l’un des fournisseurs (Comprenez: fabriquant d’avions, de drones et de missiles) de l’armée américaine. On peut discuter du bien-fondé (ou pas) de l’idée, du fait que les fournisseurs des armées sont aussi entrés dans le quotidien de nos vies civiles, qu’ils ont sans doute construit une partie de vos équipements domestiques. Si l’United States Department of Defense n’avait pas commandité l’ARPANET, l’ancêtre du web, vous ne seriez pas en train de lire ces lignes. Et je ne les aurais sans doute pas écrit non plus. Ce n’est pas pour dire que c’est bien. Mais la présence des « contractors » dans nos vies s’est banalisée. Sans oublier l’armée américaine qui donne son soutien logistique à des séries TV ou des films qu’elle voit d’un bon oeil. En gros, si vous voulez disposer d’une colonne de blindés ou de figurants-soldats dans des films Transformers, Iron Man ou Man of Steel, c’est possible mais il faut d’abord que l’armée relise le script et suggère ses « améliorations ». C’était aussi le cas pour la série TV « Le JAG » et cela l’est toujours, d’une façon pas subtile, avec The Last Ship. Il y a aussi des shows qui n’ont pas dépendu directement du soutien de l’armée américaine (comme Stargate SG1, je crois) mais qui font que des geeks, aujourd’hui, se déguisent en crypto-G.I.s dans les allées des conventions.

A partir de là, de ces cartes brouillées et en prenant en compte les projets antérieurs de comics, on peut entrevoir comment le projet Marvel/Northrop Grumman a pris forme sans que personne n’anticipe que ça allait coincer. Ce n’est pas excuser l’idée que de noter que la cohabitation armée US/entertainment s’est banalisée depuis plusieurs décennies. Mais la vraie connerie, la vraie bourde de Marvel, aura été d’imaginer présenter la chose via une conférence à la New York Comic Con en se mélangeant les casquettes. C’est à dire, d’une part, en ne se contentant pas d’être Marvel Custom, le fournisseur de BD sur commande, mais en brandissant le logo Marvel pour communiquer sur l’existence du partenariat auprès d’un public qui, clairement, n’a aucune envie qu’on l’emmerde avec ça et n’était pas venu pour se faire enrôler chez un fournisseur de l’armée. C’était vraiment se tirer une balle dans le pied (sans jeu de mots). Du coup, devant les réactions suscitées, la conférence a été annulée et le comic-book, apparemment produit, n’a pas été distribué. Là où de nombreuses réactions m’étonnent cependant et paraissent déjà « hors-champs », c’est lorsqu’un certain nombre de commentateurs renchérissent, scandalisés que Marvel ait pu concevoir un tel comic-book à quelques jours de la fusillade de Las Vegas.

Et là, on glisse vers autre chose, un réflexe qui n’est pas rare dans ce genre de circonstances : rattacher les comics à la montée de la violence. Et si le pied ne rentre pas dans la chaussure, alors forcez le passage. Plutôt que limiter ou interdire la vente libre d’armes à feu qui ont été utilisées lors de la tuerie de Las Vegas, il vaut mieux exiger le retrait d’un comic-book promotionnel concernant un constructeur d’avions et de missiles. 1) l’utilisation d’avions ou de missiles dans les événements de Las Vegas m’a échappé. 2) de toute manière, ne vous inquiétez pas pour Northrop Grumman, leurs actions n’ont pas chuté en bourse. Ils vont continuer de vendre avions et missiles sans que personne ne les embête. Donc rien n’a changé, l’être humain reste libre d’exterminer son prochain avec des armes semi-automatiques mais, ouf, Marvel n’a pas fait cette conférence à la NYCC. C’est Tartuffe. Et soyons clair : je pense sans ambiguïté que le comic-book en question et la manière de communiquer autour étaient de vraies conneries. Mais ne me demandez-pas, par contre, pourquoi le panel de The Last Ship à la San Diego Comic Con, en juillet dernier, s’est passé sans problème et pourquoi la diffusion du show n’a fait l’objet d’aucune pression similaire. Qu’on veuille un report de la diffusion de la série TV Marvel’s The Punisher vues les circonstances, je peux comprendre l’idée. Mais après…. Pourquoi des gens se sont-ils félicités du report du Punisher de Netflix tout en se regardant dans leur canapé le final de la saison 4 de The Last Ship ce week-end dernier ou leur petite dose de Fear The Walking Dead, série pourtant pas farouche pour ce qui est des armes à feu ? Allez savoir…

Ce qui me gêne, ce n’est pas le retour de bâton, mérité (encore que le fabriquant d’armes s’en tire à bon compte), mais le fait que, parfois avec les meilleures intentions du monde, on nous ramène la même grille de lecture qu’après la fusillade de Columbine (des étudiants avaient ouvert le feu dans leur campus mais plutôt que se demander comment empêcher que des ados se procurent ses armes, autorités et médias s’étaient précipités dans leurs chambres pour voir s’il n’y avait pas des comics ou des disques de Marylin Manson). Donc c’est plus pratique de gueuler sur Marvel que sur Northrop Grumman. Et de compresser l’espace-temps : Quoi ? Comment ont-ils osé produire un tel comic-book quelques jours après Las Vegas ? Ça me fait penser aux gens qui s’en prenaient à Mike Wieringo pour avoir « osé » dessiner deux tours en flammes dans un comic-book sorti… le 12 septembre 2001 (le lendemain du 11, pour ceux qui suivent). Comme si la BD n’avait pas été imprimée bien avant. J’insiste : je ne veux pas dire que Marvel ne méritait pas de se faire remonter les bretelles, mais pendant ce temps-là les ventes d’armes continuent. Et inversement une partie des gens qui râlent, scandalisés par l’éventualité d’un comic-book sur Northrop Grumman peuvent retourner lire… Iron Man (Stark Industries ne vend pas précisément de la rillette). Green Lantern (Hal Jordan) est un pilote de l’armée de l’air, Captain Marvel est colonel également dans l’armée de l’air. Le Blackbird, avion de prédilection des X-Men, est ouvertement basée sur le SR-71 du constructeur Lockheed Martin, lequel constructeur a donc tout loisir de s’en vanter sur son site corporate. Et pour enfoncer le clou, Chris Claremont a baptisé le gentil dragon de Kitty Pryde du nom de… Lockheed. Que des gens s’offusquent que des super-héros, vus comme des personnages positifs et humanistes, fassent la promotion d’un fournisseur de l’armée, d’un industriel de guerre, c’est légitime. C’est valide comme point de vue. Qu’on vienne lier la sortie d’un comic-book faisant la promo d’un avionneur aux évènements de Las Vegas, c’est un glissement idéologique ou sémantique qui ne repose que sur un « tout est lié ».

NYCC: Food for thoughtFaire, quand bien même avec les meilleures intentions du monde, le lien entre la brochure de Marvel et la fusillade de Las Vegas, c’est d’une profonde maladresse car c’est faire le jeu d’un autre camp, cultiver quelque part l’idée que la violence est due aux comics et pas aux armes. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : en 1937, dans l’Ohio, un gamin de 12 ans avait tiré sur sa prof puis tenté de se suicider. La presse avait alors titré sur le fait que cela venait « forcément » du show radio du Green Hornet. Tout cela quelques temps avant que le très sérieux Times s’aperçoive que le show n’y était pour rien. Mais houlà malheureux, personne ne s’était hasardé à évoquer que le problème était qu’un gosse de 12 ans avait une arme. Et là c’est un peu pareil. La NRA (le lobby pro-armes à feu) doit boire du petit lait en voyant des gens connecter la violence de Las Vegas à une brochure de BD. Pendant ce temps-là, ces gens ne se demandent pas comment un comptable à la retraite peut cumuler 42 armes tranquillou chez lui et en faire entrer des caisses entières dans un hôtel. Parce que dans un pays qui a connu 335 « mass shootings » en 2015, l’urgence serait plutôt de limiter la circulation des ventes d’armes à feu. 

Pour la petite histoire, IDW Comics (l’éditeur des comics de G.I. Joe) a pu lancer sans encombre en 2014 une lignée de comics intitulée America’s Army, co-éditée avec le soutien de l’armée américaine et faisant la promo au premier degré des forces armées réparties dans d’autres pays, le tout distribué gratuitement sur Comixology encore aujourd’hui (ils n’ont pas été « suspendus à la vente » en raison de Las Vegas). America’s Army a fait l’objet d’une conférence à la San Diego Comic Con à l’époque. IDW est aussi, l’éditeur de la BD Mon Petit Poney mais hey, personne ne s’inquiète du mélange des genres ou du manque de cohérence de la gamme de l’éditeur. Tout va bien. Non pas que je pense qu’il faille punir des titres, mais pourquoi l’un et pourquoi pas l’autre… Bref, le projet Marvel/Northrop Grumman soulève effectivement beaucoup de questions mais je ne suis pas certain d’avoir vu souvent passer les bonnes…

Outrage !

Le deuxième évènement relatif à Marvel est une réunion des principaux retailers (« vendeurs au détail »). C’est à dire que périodiquement les plus gros éditeurs de comics réunissent les patrons de comic-shops pour leur présenter leurs nouveautés. En France, si la chose peut arriver à l’occasion, on est plus coutumier de présenter ces nouveautés aux diffuseurs. Mais aux USA, où les comics ont disparu des kiosques, le poids des librairies spécialisées est devenu déterminant depuis les années 90. Donc il ne faut pas s’étonner de l’existence de telles réunions. Enfin du principe de base, parce qu’à la longue c’est devenu autre chose mais j’y reviendrais. Pour préciser les choses, cependant il faut noter que lors d’une précédente réunion des retailers, en mars 2017, l’un des responsables de Marvel, David Gabriel, en charge du réseau de ventes, s’était attiré à juste titre une volée de bois de vert en collant sur le dos des personnages issus de la diversité toutes les méventes qui avaient pu se produire à la fin 2016… et avait vite rétropédalé devant les réactions. A ce moment-là, ne me demandez pas pourquoi, la chose n’avait pas attiré l’attention de la presse généraliste et était restée cantonnée aux sites parlant de comics. Cette fois, à la NYCC, Marvel réunissait donc à nouveau les retailers. Apparemment, un seul  média (The Beat) était dans la salle et a dressé un rapport détaillé de la réunion. Mais le jeu du bouche à oreille a donné lieu à une véritable pluie de versions.

NYCC: Food for thoughtLes uns décrivent comment une horde de retailers aurait sauté à la gorge de Marvel, d’autres parlent d’une poignée d’énervés… Ce n’est pas tout à fait la même chose de décrire une émeute ou deux ou trois crétins dans la salle. Les choses se seraient échauffées d’abord pour certaines initiatives comme ses couvertures collectors, le trop plein de numéros 1 quand il s’agit de one-shot (ce qui aurait pour effet de « perdre » les lecteurs qui attendraient un #2) et puis d’un seul coup l’explosion, quelques énergumènes s’emportant du trop-plein de femmes, du trop-plein de personnages noir ou homo, qui serait jugé responsable des mauvaises ventes. Et ça, allez savoir pourquoi, cela s’est transformé après coup en un reproche envers l’éditeur de ne pas avoir su gérer son image. D’une manière confuse, Marvel semble responsable de s’être fait trollé par deux pelés et un tondu. Et l’on nous explique donc, en plein d’endroits (je ne vise aucun site en particulier mais un peu tous en général) que c’est un peu la faute à Marvel « qui n’a pas géré son image ».

Et là ça me parait nettement moins logique que pour le comic-book de Northrop Grumman. Car Marvel, si l’on s’en tient au compte-rendu de The Beat, s’est « contenté » de tenir tête aux fâcheux. Et d’expliquer que la direction serait conservée. Et quelque part d’ailleurs ça me fait voir d’un jour nouveau les déclarations de David Gabriel en mars dernier, que j’avais trouvé alors au mieux maladroit au pire totalement con. Mais quand on relit bien l’interview de Gabriel parue à l’époque sur ICV2 : « I think that’s a better question for retailers who are seeing all publishers. What we heard was that people didn’t want any more diversity.  They didn’t want female characters out there. That’s what we heard, whether we believe that or not » ça ne décrit pas autre chose qu’une remontée similaire de la part de retailers, une remontée à laquelle Gabriel répond de façon pas très claire et pas très adroite, mais une remontée qui ne vient pas de lui, finalement. En mars, on pouvait avoir l’impression que Gabriel se déchaussait, imaginait d’autres responsables pour des errances de Marvel. C’était même plutôt l’impression que j’avais. Mais au final voilà qu’avec la réunion de NYCC on a la preuve que Gabriel ne les a pas inventés, ces retailers bien particuliers qui bloquent certains titres, tout en montrant un Marvel bien plus ferme dans sa réponse. 

Mais même en laissant de côté ce qui s’est dit en mars (ou bien même en le prenant en considération, comme vous préférez), sur ce coup précis de la réunion des retailers à la NYCC, Marvel semblerait plus être une victime agressée qui ne s’est pas laissée faire. Comment cela peut se transformer sur certains médias en « l’éditeur n’a pas assuré sa com » ou « Marvel se brouille avec ses revendeurs », cela tient plus du délire fantaisiste. C’est un peu comme une femme qui se ferait tripoter malgré elle, à qui l’on viendrait reprocher de ne pas avoir su dire « non » assez fort. Avec là aussi, sans doute, la meilleure volonté de bien faire à la base, c’est le « Bah voyons, elle l’a un peu cherché » appliqué d’une autre manière. Vous n’êtes plus « attaqué », vous êtes responsable de ne pas avoir « empêché l’attaque ». On ne vous a pas cambriolé, non, nuance, vous avez fait preuve d’une « sécurité insuffisante ». Victime, vous êtes donc par conséquent coupable au moins par association. Ce n’est d’ailleurs pas propre aux échos du NYCC, c’est un glissement qui a tendance à se généraliser depuis quelques années. Comme quand quelques organisateurs de convention, pour lutter contre les agissements des pervers, ont jugé utile de proscrire… les cosplayeuses jugées trop aguicheuses. Parce que c’est la victime qui pousse à la faute, c’est évident, voyons (enfin non, pas du tout mais bon…). Marvel, c’est une entité commerciale, une corporation. Elle n’a pas d’état d’âme en tant que telle. Donc je ne me fais trop de souci pour son « moral » et ce n’est pas la question. Mais c’est plus le fil narratif qu’on nous « vend » ainsi qui est préoccupant et qui revient à manipuler, à prendre pour un con non pas Marvel mais qui s’intéresse à l’affaire (vous, moi, les autres…). Et ca marche encore mieux si l’on « oublie » de nous dire que cette fois, soucieuse de ne pas laisser la place au doute, Marvel a directement rappellé Stan Lee sur le pont pour rétablir quelques vérités historiques, qui font partie de Marvel depuis au moins les sixties…

Pour ceux qui auraient manqué quelques épisodes, l’an dernier les américains se sont choisi une nouvelle « administration », comme on dit. Une manière de schématiser les choses seraient de dire qu’entre Clinton et Trump, les choses ont basculé de peu pour Trump. Dans les faits c’est un peu plus compliqué que cela puisqu’il y a d’une part la question du vote populaire, distinct de celui des Grands Electeurs. Et puis, scoop, contrairement à ce que croient plein de gens en Europe (et probablement quelques américains au moins), il n’y avait pas que deux candidats à ces élections. Il y avait aussi (entre autres) Jill Stein, la candidate écologiste ou Gary Johnson pour les « Libertariens ». Donc tout cela va à l’encontre d’une division 50/50% entre l’Amérique de Trump et celle de Clinton. Seulement, comme ce n’est pas un blog à finalité politique, je ne vais pas me lancer dans une analyse démographique des dernières élections aux USA. Peut-être que Trump a été élu par près de la moitié des américains, peut-être par 40% seulement, la chose à en retenir c’est qu’il n’y a pas de raison pour penser qu’une portion conséquente de telle ou telle profession n’a pas voté pour Trump. Statistiquement, y a forcément une partie des chauffeurs de taxi, des patrons de pizzeria et donc, aussi, des retailers de comics qui se sont reconnus dans les valeurs de Trump. Plus que deux ou trois. Et dans cette optique, il y avait probablement plus que deux ou trois commerçants « trumpistes » dans cette salle de réunion. Cela tient du miracle qu’il n’y en ait pas plus qui aient participés à la bronca. Si on y pense, cela tient sans doute du fait que pour des questions logistiques la plupart des vendeurs présents à la NYCC n’étaient pas venus de TOUT le pays mais plutôt des environs de New York, fief pas franchement trumpiste. Dans cet état, H. Clinton y a emporté 59% des voix contre mois de 37% pour Trump. Cela explique donc en partie pourquoi dans une réunion à New York l’audience avait toutes les chances d’être plutôt démocrate. Et même en prenant en compte cela, si vraiment seulement deux ou trois excités se sont fait connaître, c’est presque une bonne nouvelle en soi. Bon, il faut sans doute aussi prendre en compte qu’un retailer vraiment furieux contre Marvel est aussi moins enclin à aller se taper une réunion du dit-éditeur. Une information intéressante serait de savoir combien il y avait de personnes attendues et combien sont venues. C’est ce qui nous éclairerait vraiment sur la profondeur d’un « divorce » éventuel avec le réseau.

NYCC: Food for thoughtUne autre chose que j’ai pu lire sur différentes sources est de partir du principe que ce genre de réactions est le fait de « vieux retailers », de « dinosaures » qui finiront par faire leur temps. A priori, The Beat identifie comme premier fauteur de troubles parmi les retailers un type aux faux airs de Père Noël. On peut donc raisonnablement penser qu’il a une barbe blanche, qu’il est d’un certain âge (et qu’au passage une journaliste spécialisée, en prise avec le milieu des comics depuis environ un quart de siècle, n’arrive pas à l’identifier, ce qui relativise l’importance du bonhomme). Sur les quelques retailers qui se sont joints à lui, pas vraiment d’indications d’âge, d’ethnicité ou de mœurs.

Mais mettons qu’ils étaient tous « vieux », cela reste un angélisme un peu hipster de penser que le racisme, l’homophobie ou le sexisme ne sont qu’une affaire de vieux bonhomme. Ce serait bien, ce serait beau, en quelques décennies on en aurait fini. Sauf que si vous allez dans des campus aujourd’hui, vous ne trouvez pas que des gens qui aiment leur prochain. Et parmi ces jeunes plus ou moins inspirés, gasp, il y a aussi de futurs vendeurs de comics. Penser que le conservatisme ce n’est qu’une affaire de vieux, c’est tomber dans un autre « délit de sale gueule », se tromper sur le diagnostic et sur le remède. Parmi l’électorat républicain américain (ou d’autres formations politiques à travers le monde) il y a des jeunes, des femmes, qui avancent, comme les votants mâles, des positions pas vraiment progressistes

NYCC: Food for thoughtMais pour en revenir à la NYCC et cette réunion, il y a aussi des choses intéressantes à traiter à la base de l’information. D’abord et toujours le contexte. Est-ce que quelqu’un a un compte-rendu détaillé d’une réunion récente des retailers avec… DC ? Réponse télépathique d’une partie de la blogosphère « ah ben non, j’ai trouvé aucun site américain que j’ai pu rewriter alors je ne peux pas en parler ». Parce que pour ce qui est des reproches techniques faits à Marvel, j’ai beaucoup de mal à penser que pour les couvertures variantes de l’éditeur, ses one-shots eux aussi numérotés « 1 » (il n’y a qu’à regarder les Dark Knights publiés en ce moment) et ce genre de choses, les mêmes vendeurs ne soient pas également énervés envers le concurrent, qui utilise les mêmes techniques. Pour ce qui est de la colère anti-noirs, anti-gays, anti-femmes d’une poignée d’illuminés, on a également du mal à ne pas penser qu’elle ne se reporte pas aussi ailleurs, que ce soit chez DC, Image ou d’autres. Un crétin qui reproche à Marvel d’accorder de la place aux femmes peut-il réellement vendre par ailleurs Lady Killer, Lazarus, Planet Bitch ou Velvet ? Et le numéro de Faith spécial Clinton ? Il l’aurait adoré ? Le vendeur homophobe qui aurait un problème avec Iceman n’en n’aurait pas eu avec Midnighter, Infinite Loop ou Harley Quinn ? Le raciste peut-il réellement tiquer sur Black Panther mais pas sur Cyborg, Simon Baz, Jessica Cruz ou Savage Dragon ? Et ça évoque d’ailleurs une image assez saisissante, presque comique :

NYCC: Food for thoughtSi les vendeurs concernés qui menacent de cesser de vendre globalement les titres Marvel à cause de l’ouverture de certains titres exécutent leurs « menaces » et restent logiques, alors il leur faudra aussi se priver pour les mêmes raisons de DC, d’Image, de Dark Horse, de Boom, de Valiant et j’en passe… Je serais assez curieux de voir leur chiffre d’affaire à ce moment-là. Est-ce qu’un lecteur lambda continuerait longtemps de fréquenter un comic-shop pas foutu de lui fournir la production de la plupart des éditeurs, l’équivalent de plus 90% du marché ? On a beaucoup de mal y croire. Le plus menacé, dans l’histoire, serait le vendeur lui-même, qui n’aurait plus grand-chose à vendre. Que la question ait refait surface à l’occasion d’une réunion Marvel est un fait. Que ce soit un « problème » propre à Marvel, par contre, c’est doublement faux. D’abord parce que le problème vient de deux ou trois retailers/énergumènes extérieurs à l’éditeur. C’est donc confondre agresseurs/agressés. Ensuite parce que s’ils ont ce problème avec Marvel, ils l’ont forcément avec TOUT le marché. Et puis alors il y a quand même ce summum de l’illogisme où ces quelques abimés de la tête, mécontent d’avoir vu passer un Captain America noir (Sam Wilson) ou d’autres personnages du même ordre, menacent de boycotter Legacy, soit donc la reprise en main classique de plusieurs séries. « Nous n’aimons pas le Captain America noir que vous avez publié ces trois dernières années, donc nous allons boycotter le Captain America blanc classique écrit par Mark Waid, qui revient aux fondamentaux », ça n’a pas de prix, c’est « une volupté de fin gourmet ». « Je n’aime pas les noirs, alors je boycotte le perso blanc qui ressemble précisément à la seule chose que je dis pouvoir vendre ». Tu m’étonnes qu’un gars si totalement dénué de neurones peine à faire tourner un comic-shop et se lamente sur l’état du marché.

NYCC: Food for thoughtSurtout, pour en revenir à la réunion des retailers de Marvel, il y a quelque chose que je n’ai pas vu (beaucoup) relevé : qu’est-ce que c’est que ces retailers, bons ou mauvais, calmes ou énervés, qui s’occupent de dicter l’aspect créatif ? Parce que qu’on leur présente les nouveautés de manière privilégiée, c’est normal. Qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, c’est leur droit. Que par contre ils estiment pouvoir dire ce que les auteurs doivent mettre dans leurs histoires, c’est n’importe quoi. Transposons : A date régulière les patrons de salles de cinéma soient conviés par les principaux studios de cinéma et/ou les réseaux de distribution. Et ça n’a rien de contrariant en soi que les différents maillons de la chaine se parlent. Mais surtout imaginons que la réunion se déroule selon le même schéma que les réunions de retailers de comics. Tout le monde jugerait que c’est du grand n’importe quoi, avant même d’en arriver aux propos racistes, sexistes et/ou homophobes. Imaginez qu’un patron de salle râle sur le contenu de Mad Max Fury Road, sur son casting, sur sa réalisation en expliquant sérieusement que le film aurait fait plus d’entrées si G. Miller avait suivi ses conseils et moins mis en avant Furiosa ?

On a tous un avis sur un film ou un livre. Et les patrons de salles ou, pour en revenir au sujet, les libraires, n’ont pas moins que les autres le droit d’exprimer leur opinion sur le fait qu’ils aiment ou pas une œuvre (tant qu’on reste dans les limites de la loi bien sûr). Là où cela se corse, c’est quand le système s’oriente vers des réunions où l’on fait mine de leur demander leur avis sur des choix créatifs. Et où eux répondent très sérieusement en pensant qu’ils sont qualifiés pour orienter, dicter, les prochains scénarios. Mec, si tu avais un semblant de talent créatif, tu ne serais pas derrière une caisse enregistreuse, ou alors tu perds vraiment ton temps. Qu’il y ait des « prix des libraires », des libraires avec un avis critique, c’est normal. Mais qu’un libraire sorte du bois en expliquant à un éditeur ou un auteur ce que devrait contenir ou pas sa prochaine storyline ? Et pourquoi pas demander aussi à lire en avance le prochain Stephen King pour décider quel chapitre il faut ajouter ou effacer ? Sauf exception rarissime, un barman n’explique pas au vigneron sur quel terrain planter, un tenancier de PMU n’a aucun conseil à donner au jockey qui se classe dans les trois premiers. Et l’inverse est vrai, il ne s’agit pas de dire que le vendeur est un sous-homme par rapport au créateur. La plupart des auteurs de comics seraient incapables de tenir un comic-shop. Chaque maillon de la chaine a son boulot. Mais si vous demandez aux roues comment le moteur devrait bosser et inversement au moteur commet les roues devraient rouler, vous allez finir avec une voiture dans un sale état.

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Là où l’opinion du retailer est tout à fait pertinente, c’est dans ce qui relève du marketing, de ce qui permet de vendre ou pas l’œuvre. Les conditions d’obtention des variant covers ? Le prix de vente ? La périodicité ? C’est son champ d’action, sans problème. Encore que, ça marche dans les deux sens : à la lecture de ces « pauvres » retailers, racontant comment leurs clients sont « perdus » par le fait que les one-shots portent des #1, on a envie de leur dire « Mais mon gars, c’est TON JOB. Pas seulement maugréer un bonjour à la clientèle qui entre puis lui faire le total de ses achats avant de lui indiquer la sortie mais bien prononcer des mots magiques tels que « bonjour, je peux vous renseigner ? ». Un bon vendeur de comics (et il y en a, plein, insistons sur ce fait), si son client arrive avec une question, il le renseigne. Mieux, il l’anticipe ! « Le one-shot de Power Pack ou de Batman, non monsieur, ce n’est pas une série mais par contre ça fait partie d’une initiative avec d’autres numéros spéciaux, vous les trouverez rangés là ». Un vendeur qui au contraire répondrait « bah je n’en sais rien, ils font chier Marvel je vais leur sonner les cloches à la prochaine réunion », c’est un gars qui ne fait pas le job, qui ne s’intéresse pas au marché et qui par conséquent sera infoutu de vous conseiller sur ce qui sort. Non pas que Marvel ou DC n’aient que de bonnes initiatives de ventes, loin s’en faut (par exemple les one-shots « Generations » de Marvel avaient souvent un titre sur la couverture différent du titre de l’indice, c’était parfois un casse-tête au moment de faire des reviews pour savoir quel titre mettre et j’imagine le bordel pour gérer les commandes dans un comic-shop dans des cas comme cela).

Et ce qui me paraitrait autrement valide, ce n’est pas le #1 ou le one-shot en lui-même mais la gestion du stock d’oldies. Parce que pour le coup, mettons qu’un nouveau lecteur entre dans un comic-shop, s’empare du premier numéro des Avengers version Legacy paru mercredi dernier (le #672, qui reprend donc la numérotation classique). Super, s’exclame le lecteur, je voudrais les numéros d’avant. Ça suppose que le vendeur fasse une gymnastique mentale pour se souvenir que ce qui précède, c’est le #11 du volume précédent, qu’il n’y a pas de #12 ou de #13. Et si le lecteur prend les 11 Avengers du volume d’avant, dit « Super mais est-ce qu’il y a encore d’autres épisodes avec la même version de l’équipe ? C’est dans le volume d’Avengers encore avant ? », là le vendeur doit lui expliquer que, non, c’est dans All-New All-Different Avengers qui est encore dans un autre bac, puisque pas classé alphabétiquement à la même place. Répétez la manip avec Punisher, Moon Knight ou Hulk (qui est en fait She-Hulk) et c’est le « nervous breakdown » pour pas mal de vendeurs, c’est compréhensible. Mais le vendeur qui n’est pas foutu de renseigner son client sur un one-shot en « nouveauté » d’un des « big two », qui n’a pas au moins le réflexe de regarder dans le catalogue Previews, mérite de changer de boulot.

Si le gars ne sait pas vous orienter dans les spin-offs de Metal ou Secret Empire, sérieusement quelles sont les chances qu’il va pouvoir avoir une phrase pertinente sur Fantagraphics ? Je ne dis pas qu’il est forcé de les aimer, il peut vendre les comics mainstream tout en espérant vous ramener vers de l’indé. Mais s’il est pas foutu de vous renseigner sur un truc qu’il s’apprête à vous vendre, qu’il a commandé avant de le mettre en rayon… Rajoutez à ça le niveau « ++ », l’énergumène s’en prenant aux femmes (oh, elles ne sont jamais qu’un peu plus de la population de la planète), aux noirs et aux gays et il n’est pas trop difficile de comprendre comment ces comic-shops avec un caractère si « accueillant » (envers ce qui mis bout à bout représente la majeure partie de l’humanité) périclitent tandis que d’autres se réjouissent de voir leur clientèle se renouveler ou tout au moins se stabiliser. En fait il y avait quelques « trolls » si l’on se fie au témoignage de The Beat, pas franchement connu pour minimiser ce genre d’énergumènes. Des retailers, oui, mais des trolls quand même et des trolls isolés à qui la blogosphère a offert une caisse de résonnance inespérée et internationale. Non pas que les propos soient tolérables ou méritent d’être banalisés. Non pas qu’il faille les taire. Justement. Mais les rapporter à travers le monde sans contexte et finalement insinuer que le problème c’est Marvel, c’est leur offrir une tribune et précisément le message qu’ils voulaient passer. Pensez : suffit de quelques demeurés gueulant dans une salle qu’ils vont boycotter le Captain America de Mark Waid (oui, je dis demeuré parce que si tu boycotte le Captain America de Waid parce que tu n’as pas aimé le Captain America de Nick Spencer, dont la parution est terminée, tu es un demeuré) pour s’offrir une page de pub mondiale, pratiquement sans filtre. Ces gars voulaient foutre le bordel. Le résultat dépasse sans doute de loin leurs espérances. Et éclipse le boulot d’une majorité de vendeurs de comics sérieux et pros, les réassociant à ce cliché ci-dessous…

Et pendant ce temps-là, une information disons « mitoyenne » mais plus importante, elle aussi en marge de la NYCC, est passée relativement inaperçue. L’info qu’à priori, à horizon de quelques années, c’est la filière de distribution des livres qui vendra le plus de comics aux USA. Par « filière de distribution des livres », comprenez que cela comprend non seulement les recueils, TPB, graphic novels et puis AUSSI les comic-books traditionnels qui sont distribués dans de grandes librairies (un peu comme quand la FNAC vend des revues Panini ou Urban). Milton Griepp, lors dune conférence chapeautée par ICv2, a présenté un aperçu des ventes qui montre que les ventes en comic-shops ont été stables en 2016, qu’elles se sont un peu tassées pour ce qui est du numérique et que les ventres en librairies non-spécialisées ont fait un bond en avant, laissant entrevoir qu’avant la fin de la décennie elles pourraient représenter plus de la moitié du marché. Ce qui veut dire, si cela se confirme, que les comics shops américains (c’est à dire les vendeurs sérieux et les trois ou quatre hooligans) représenteront encore près de la moitié du marché, ce qui n’est pas rien. Mais le réseau de la BD américaine reposerait à nouveau sur deux jambes, comme avant que les comics ne quittent les kiosques. Et ça c’est une grosse information à plus d’un titre parce que, sur le marché des livres, traditionnellement, Image taille des croupières à Marvel et DC, à coup de Walking Dead, Saga et autres. DC à quelques locomotives comme Watchmen ou Dark Knight. Donc s’il y avait une info inquiétante (ou disons un défi à relever dans les années à venir) pour Marvel à la NYCC, stratégiquement, c’était plutôt celle-là. Mais c’était moins « pittoresque » à expliquer…

Allez, finissons avec une preuve que l’univers des comic-shops c’est pas la mort du neurone, ce n’est pas un bureau de recrutement de l’armée ou le royaume du sexisme…

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