Les CroquignardOn ne pourra pas m’accuser de copinage avec Quebeuls. Jusqu’à il y a peu, je ne l’avais jamais vu de ma vie. Et j’ignorais même totalement jusqu’à la sortie de sa BD, les Croquignard (deux tomes à ce jour), dont le premier volume est pourtant paru en 2008. Une rencontre fortuite, en festival, un placement aléatoire pour le plan de table et je me retrouve donc assis à côté de Quebeuls, dont je ne connais rien. La conversation s’engage et il me parle, très humblement mais aussi de manière passionnée de ses Croquignard, s’excusant presque que ce récit historique (qui ne concerne « que » le secteur des Hautes-Alpes) ne soit sans doute pas très attrayant pour des gens de l’extérieur. Il enchaïne en me disant aussi que son graphisme est spécial, qu’il n’est peut-être pas pour tout le monde. Mais en cours de route il a piqué mon intérêt… Et puis bon l’Histoire, ça m’intéresse en général…

Les CroquignardDonc, le lendemain, « n’écoutant que mon courage »… Je prends un risque fou. Je fais un truc de dingue (vous allez voir ça) : sans filet ni protection corporelle particulière, j’achète le premier tôme des « Croquignard, Bandits fantômes dans les Alpes« , récit basé sur une histoire vraie. Celle des déserteurs italiens qui passaient la montagne en 1917 et venaient se cacher en France pour échapper à la première guerre mondiale. Quitte à former une sorte de gang/famille. De petits voleurs, les Croquignard (le nom a été changé « pour protéger les innocents » selon la formule consacrée) deviennent assassins et ca ne rigole pas. Pour vous donner une idée, l’album de Quebeuls et Corinne Leduey, c’est un peu comme si on transposait le double film Mesrine au début du vingtième siècle et qu’on le fusionnait avec une ambiance Bande à Bonnot. D’autant qu’il y a là un récit qui fleure l’authenticité, que même si des noms ont été changés on sent le décalage d’époque. J’ai beaucoup apprécié aussi que les personnages parlent un mélange de français et d’italien et ne s’arrêtent pas toutes les deux secondes pour se reprendre. Cela donne un rythme, une tonalité à leurs paroles. Après, il est certain que les Croquignard ont une narration très particulière (par exemple des scènes de présentation très « récitées » de certains personnages) et que le graphisme de Quebeuls n’est certes pas celui qu’on va trouver dans un album de Soleil ou des Humanos ces jours-ci. Les visages, en particulier, ont un traitement un peu décalé… mais ca ne m’a pas dérangé car au contraire celà participe au vernis d’époque. En plusieurs endroits le traitement m’a fait penser à certains « animés » (en fait ça me fait vraiment penser à quelque chose en particulier mais je n’arrive pas à mettre un nom dessus) et ce côté atypique (plus le charme d’un léger sépia, puisque l’album n’est pas en couleurs) sert très certainement l’ensemble. Il y a ce côté « vieux film », un peu comme si les Croquignard étaient la version dessinée d’un biopic (ou l’équivalent BD de l’émission « les Crimes de la Belle Epoque » diffusée sur Toute l’Histoire, pour ceux qui connaissent).

Quand nous nous sommes croisés, Quebeuls m’expliquait qu’il s’était éloigné de la BD pendant un moment et qu’il n’y était revenu que parce qu’il était tombé sur cette histoire, qu’elle l’avait motivé pour revenir au dessin. Et c’est vrai que c’est un bon mariage. Bon, j’ai bien tiqué un peu sur le lettrage et sur quelques détails de « post-production » (par exemple le fait que l’éditeur n’ai pas été foutu de prendre le même papier d’un tome à l’autre) mais je peux rassurer Quebeuls (et je suis sur que je ne suis pas le premier à lui dire), ça « parle » absolument, même aux gens situés en dehors des Haute-Alpes. Ca vibre et c’est vivant. C’est authentique… Je n’ai très certainement pas regretté la lecture de l’album, tout comme la discussion qui l’avait précédée. C’est apparemment diffusé en dehors du réseau BD habituel et pour ainsi dire pratiquement introuvable en dehors des Alpes mais les Croquignard ont beau être des brigands de 1917 ils n’en ont pas moins leur blog, les filoux, où il est possible, si vous êtes intéressés, de commander les albums… J’espère juste que Quebeuls rencontrera d’autres récits et que, celui-ci terminé, il ne s’éloignera pas pour autant de la BD… Il y a sans doute plein d’autres histoires vraies qui ne demanderaient rien d’autre que de se réincarner sous son crayon…

Les Croquignard, Tome 1 : Bandits fantômes dans les Alpes
Quebeuls & Corinne Leduey
Les Editions du Fournel
site perso de Quebeuls: http://repke.free.fr/Quebeuls/