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Super-Héros de Paris

Vendredi soir, j’étais aux côtés de véritables super-héros. Enfin bon, oui, je sais, vous me direz qu’ils ne volent pas ou n’ont pas de rayons de la mort qui leur sortent des yeux. Mais Batman non plus et cela ne l’a jamais disqualifié. Là c’est pareil. Pas de superpouvoirs mais une volonté d’aider les autres, alliée à un costume qui est autant une manière de rallier les gens que de dédramatiser. Il s’agissait de « super-héros du réel » (expression qu’ils n’aiment pas tous mais, à défaut d’une autre plus adéquate, elle permet d’identifier de quoi on parle). Le phénomène m’intéresse de longue date. À la base parce que c’est un peu, lointainement, la matérialisation de choses qu’on ne trouve d’habitude que dans la fiction. J’avais écrit un long article sur le sujet dans Comic Box #51 (février 2008). Depuis, j’ai collaboré à l’ouvrage de Pierre-Elie de Pibrac sur les Real-Life Super-Heroes, qui les connaît bien mieux que moi. C’est grâce à lui, en 2011, que j’ai rencontré pour la première fois deux héros masqués américains, Life et Nyx. En 2012, lors de la première Paris Comics Expo, alors que Pierre-Elie, Eric Maigret et moi-même donnions une conférence sur le sujet, deux « super-héros du réel », Citizen French et Blue Smash, nous ont fait la surprise de venir, sans doute un peu inquiets de ce que l’on allait raconter sur eux. Et comme – je crois – on ne les avait pas trahis, ils ont participé à la discussion, répondus à quelques questions.

De toute manière, ces dernières années, il n’est plus rare de voir des reportages qui sont consacrés à ce type d’actions (Surtout, en fait, depuis le premier film Kick-Ass, alors que la pratique date d’avant le film et que c’est plus qui a inspiré le comic-book de Mark Millar et John Romita Jr. que le contraire). Mais en général je suis un peu gêné pour eux. Le plus souvent cela se termine avec un retour sur le plateau et un animateur goguenard, le sourire jusqu’aux oreilles, qui ponctue le sujet d’un « Oulahlah celui-là il fait peur ! » ou de vannes à deux balles qui noient le sujet de fond sous un gag sur les couleurs de la cape. Quand je vois cela, je me dis que les super-héros du réel ont toutes les raisons de se méfier des médias, qui accourent pour faire de l’image mais concluent sur un pied de nez.

La semaine dernière, j’ai appris que plusieurs Super-Héros du Réel s’étaient donné rendez-vous pour une patrouille collective (« Super-héros de Paris » est le nom un peu ronflant de leur tournée à cette occasion, mais ce n’est pas un groupe constitué), dont le point de départ était sous la station du métro Jaurès. Je me suis dit que c’était une occasion rare d’en voir autant d’un coup. J’ai passé un message à un de mes contacts pour savoir s’il était possible que je passe à ce point de départ. Sans réponse, vendredi soir, je me suis dit que j’allais tenter le coup… Tout en me disant que j’avais toutes les chances de me faire envoyer sur les roses en me pointant avec la carte « curieux ». Cela ne s’est pas du tout passé comme cela. Au contraire, l’accueil a été très chaleureux, malgré le fait que je ne connaissais aucun d’entre eux (enfin je ne crois pas, sauf s’ils ont changé de costume et d’identité, allez savoir). Zeff, Aëlwenn, M-Nothing More, Rhétes Red, Arché Type, Goemon, Vercopa Mando, Broug Kross le Vagabond, Anamchara et Láska Elderwind étaient déjà là, en tenue, en train de terminer leurs préparatifs, sous le regard d’un vendeur à la sauvette qui avait l’air de se demander où il était tombé. Une touriste étrangère a pris une photo sans trop comprendre. J’ai moi aussi parlé de faire quelques photos. Dans mon esprit, il s’agissait juste de les « fixer » avant qu’ils partent. À ma grande surprise, non seulement ils ne sont pas fait prier (sans pour autant se précipiter sur l’objectif pour faire parler d’eux) mais en plus Rhétes Red (l’homme aux lunettes jaunes) m’a gentiment m’a proposé de les accompagner.

Je n’y étais pas du tout préparé, venu pratiquement les mains dans les poches. Et en plus je n’étais pas loin d’être patraque, qui plus est un peu gêné de marcher à côté de gens qui font des choses et d’être là en spectateur. Je ne suis donc resté que quelques dizaines de minutes à marcher avec eux, à longer les quais du canal pour voir si les SDF avaient besoin d’assistance, à croiser des travailleurs sociaux et à expliquer leur démarche. En marchant j’ai discuté un bon coup avec Arché Type (qui a un peu le même problème que Bane, avec un masque qui résonne), parlé de leur fonctionnement et de leurs méthodes. Parfois on croisait des gens interloqués, certains regardant le costume vert de Zeff en hurlant « C’est Cetelem !« . Je pense que, de loin, ils ont dû penser à une forme de bizutage ou à quelque chose comme un enterrement de vie de garçon. D’autres ont compris d’emblée de quoi il s’agissait. Il y avait des signes d’amitié. Les héros costumés s’étaient répartis en deux groupes, de chaque côté des berges et tout cela est autrement mieux organisé que certains détracteurs pourraient le penser. Les groupes étaient équilibrés. On avait réparti de manière égale les plus expérimentés et ceux qui débutaient dans cette activité. On ne m’avait pas laissé venir sans m’indiquer vers qui il fallait que je reste au cas où il y aurait du grabuge. Ils prenaient soin, aussi, de ne pas inquiéter les gens. Rien à voir avec des zazous bondissants. La pratique impose à la plupart d’entre eux d’avoir des costumes sombres. Et donc du coup quand une demi-douzaine de personnages masqués en costume noir approchent, cela peut paraître un brin inquiétant. Mais c’est aussi mûrement réfléchi. La plupart du temps, c’est Zeff (reconnaissable à sa combinaison verte et à sa cape rouge) qui approchait des SDF avec les sacs de nourriture. La couleur, cela dédramatise. De toute façon c’est tout l’intérêt de cette démarche, le côté « super-héros » permet de lier la conversation d’une autre manière avec les personnes aidées. On a parlé de tout et de rien. Arché Type m’a expliqué aussi une autre forme d’action qu’il mène contre les maltraitances d’animaux. Tout cela de manière bien réfléchie, sans comportement extravagant ou au contraire militariste ou milicien. Eux, cela ne les intéresse pas de voir débarquer des « guedins » qui voudraient jouer à Kick-Ass ou se prendre pour les Avengers. Pour en avoir croisé quelques-uns « hors patrouille », je le savais intellectuellement. Les voir à l’œuvre, c’est bien entendu une confirmation mais également un ressenti beaucoup plus fort.

Au bout d’un moment je les ai laissés. Comme je disais plus tôt, je n’avais pas trop la forme ce soir-là. Et puis, être le mec qui prend des photos à côté de types qui se rendent utiles, franchement, il y avait un côté gênant. Zeff s’est retourné vers moi et m’a expliqué qu’au contraire ils avaient besoin qu’on décrive ce qu’ils font. C’est un peu ce que je fais là, du coup. Moi, je suis rentré chez moi. Le lendemain matin, sur la page Facebook des « super-héros de Paris », il y avait les autres photos qu’ils avaient prises pendant la suite de leur tournée, visiblement jusqu’à tard dans la nuit, du côté de la Gare du Nord. Pour me remettre à l’esprit qui est qui, je suis remonté un peu les discussions des jours précédents. Je suis tombé sur un message où un de ces altruistes costumés (c’est peut-être cela l’expression qui les définit le mieux) expliquait qu’il amènerait ce qu’il pourrait mais qu’il était limité dans ce qu’il peut acheter. Dans la vraie vie de tous les jours, quand il n’a pas son masque, il n’a qu’un temps partiel et touche la moitié d’un SMIC mensuel. Si j’avais su cela sur le coup, quand je marchais avec eux, je pense que j’aurais été encore plus mal à l’aise. Dans le sens où il est facile de se moquer des couleurs des capes, de l’extravagance des noms de code. Mais, en fin de compte, les fous ce ne sont pas eux. Le monde devrait fonctionner autrement. Entre rester le cul devant la télévision ou se dire que, ce soir, il faut sortir au cas où quelqu’un aurait besoin d’aide, l’image de la normalité ne devrait pas être ce que l’on connaît.

J’en ferai autre chose de ces photos un de ces quatre. En attendant, comme discuté avec Zeff, il me semblait naturel de vous dire (au cas où vous vous poseriez la question) que sous le masque se cachent des gens bons, beaucoup plus équilibrés et sains que l’on pourrait parfois nous le faire croire. Et, oui, je sais, il a y aussi des bénévoles ou des travailleurs sociaux qui font des trucs biens par ailleurs, sans avoir besoin de costumes colorés, mais enfin l’un n’empêche pas l’autre. Tout cela pour vous dire que la prochaine fois que vous verrez un plateau de télévision où le présentateur joue le kakou en se moquant d’un reportage où l’on voyait quelques héros du réel aider des gens où sauver des animaux, ne perdez pas une chose de vue : Le con, dans l’histoire, c’est bien l’animateur fier de son gag.

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Xavier Fournier:

Voir les commentaires (4)

  • MERCI BEAUCOUP POUR VOTRE ARTICLE et la description que vous faites de nos actions et de nous même,je voulais ajouter que nous sommes masqués pour rester anonymes car nous ne voulons aucune reconnaissance pour nous même,seules nos actions prévalent,le costume permet d'attirer l'attention et de pousser les gens à s'interroger sur la solidarité,la compassion,l'aide aux démunis car ils peuvent s'identifier à nous puisque nous n avons pas d identité affichée.Nous passons beaucoup de temps à répondre aux questions des curieux qui finissent par prendre tres au sérieux ce que nous faisons et ils passent de la moquerie aux compliments!nous donnons de notre argent personnel alors que nous ne sommes pas riches,nous nous privons de sorties,vêtements etc..bref tout ce qui est inutile,nous donnons de notre temps,de notre énergie pour soulager la misère,nous marchons pauvres parmi les pauvres,voilà ce qu est l'altruisme,bref nous sommes des hommes debout,les derniers humains!nous luttons pour sauver l'amour,pour fédérer ces valeurs essentielles que sont l'empathie,l amour du prochain,la solidarité,la compassion!ment

    • Je ne sais pas si je vous traiterais de "derniers humains", dans le sens où ça prête à confusion. Je dirais plutôt que l'être humain c'est la masse, avec une certaine facilité à l'indifférence et l'inertie (et quand je dis ça, je me compte dedans). Vous vous distinguez et - en un sens - ça fait de vous des surhumains non pas par notion de superpouvoirs mais bien par des qualités exemplaires.

  • Le pouvoir qu'on a est celui qu'on se donne. Pas besoin de verser dans les grands sentiments pour cette démarche simple et évidente. Si on en vient à parodier l'héroïsme, c'est seulement parce s'accommoder de "ne pas avoir le pouvoir de faire" justifie une triste version du confort et de la sécurité qui renvoie du moindre élan empathique une image grotesquement "héroïque", insolite et divertissante, qui dévierait sans trop être poussée vers une espèce de pseudo (auto)-starification.

    Toujours chercher à diminuer, à compenser toutes formes de souffrances, et éviter de les cautionner, à défaut de combattre les méchants et sauver le monde ça n'a rien "d'héroïque", c'est seulement la seule démarche juste.

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