Les films de super-héros sont-ils les nouveaux westerns ?
Les films de super-héros sont-ils les nouveaux westerns ?
Les films de super-héros sont-ils les nouveaux westerns ?
Michael Ducousso, avec Christophe Champclaux et Xavier Fournier
Batman v Superman, c’est fait, Captain America : Civil War, c’est fait, X-Men : Apocalypse, c’est fait aussi… Plus que trois films et la saison des super-héros sera terminée pour cette année. Cela doit soulager les allergiques au Spandex qui ne sont pas gâtés depuis que le genre superhéroïque est à la mode. Les surhommes et surfemmes en lycra sont partout sur nos écrans, c’est à en frôler l’overdose. On en viendrait presque à espérer que la prophétie de Steven Spielberg se réalise.
En 2015, le réalisateur faisait la promotion de son Pont des espions et prédisait un bien triste futur aux encapés : tôt ou tard, ils allaient finir tout aussi ringards que les cow-boy des westerns d’antan. « Nous étions là quand le Western est mort », professait un Spielberg qui approche les 70 ans, mine de rien. « Il y aura un temps où les films de super-héros prendront le même chemin que les westerns. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres occasions de voir le western ou les super-héros faire un retour. Bien entendu, en ce moment, les films de super-héros sont vivants et prospères. Je dis juste que ces cycles ont une durée de vie limitée dans la culture populaire. » Cette comparaison de maître Spielberg est d’autant plus pertinente, que les deux genres sont liés. Alors on a voulu vérifier avec deux spécialistes de la question si Batman allait finir comme John Wayne.
Sous le signe de Zorro
The Mark of Zorro (1940)
L’origine des deux genres, ce n’est pas le cinéma, c’est la littérature du XIXe siècle. Ils naissent dans des Dime Novels, puis plus tard dans les Pulps magazine, ce qu’on appelle en France, des romans à deux sous. C’est bien ça ?
Xavier Fournier : Il y avait ce qu’on appelait le « roman de prairie ». Le roman de prairie de la littérature du XIXe siècle aux États-Unis est beaucoup plus péchu que ce que connaissaient les littéraires français. Et les littéraires français, eux, étaient plus dans le mythe de la vengeance, Monte Cristo et compagnie. Il y a un moment où Dumas s’est exporté aux États-unis et les romans de prairie, comme Le dernier des Mohicans, se sont exportés en Europe. Ça s’est croisé et le super-héros est né de ces influences-là. On a greffé l’identité multiple et la vengeance de Monte Cristo sur le roman de prairie, et on est arrivé à quelque chose qui est le prototype du super-héros.
Comment peut-on expliquer le succès de ces romans à deux sous alors que leur appellation laisse penser qu’ils n’avaient rien pour marquer l’histoire de la littérature et encore moins du cinéma ?
Xavier Fournier : Il faut remettre les choses dans le contexte : le roman à deux sous de l’époque, c’est déjà deux sous. Les deux sous, ils valaient quelque chose. À cette époque-là, la société du loisir ne coulait pas de source et mettre deux sous dans un livre, c’était déjà un acte culturel. C’est l’invention des nouvelles presses qui a fait qu’on a pu multiplier les tirages. Et puis, il y a surtout eu ce qu’on a appelé le roman feuilleton, des deux côtés de l’Atlantique. On a pu suivre des grandes sagas, avec des auteurs qui avaient tendance à tirer au kilomètre et à mélanger fiction et réalité. Alors parfois c’était inspiré de faits-divers, ou on laissait entendre que c’étaient des faits réels ou qui auraient pu se produire alors que les trois quarts du temps c’était pipeauté à mort, et c’était un truc de consommation.
Christophe Champclaux : Il y a eu aussi un phénomène qui a tout de suite séparé la grande culture de la sous-culture, c’est qu’au XIXe siècle, la seule différence était financière. Si vous vous appeliez Alexandre Dumas ou Victor Hugo, l’éditeur vous donnait un très, très gros chèque. Et si vous vous appeliez Zévaco ou Eugène Sue, ils vous donnaient un petit acompte. Mais par contre, votre texte, il paraissait de la même façon dans du gros journal qui vous tachait les doigts et que la plupart des gens ne savaient pas lire. Après, les livres se vendaient plus ou moins derrière, mais la première parution c’était la même pour tout le monde.
Xavier Fournier : On sortait ça en feuilleton, si ça marchait bien on le sortait en livre et si le livre marchait bien, on enchaînait avec une pièce de théâtre – c’est pour ça qu’à un moment, des gens comme Dumas ont eu leur propre théâtre – après il y a eu la radio, le film muet, etc.
Christophe Champclaux : Mais avant ça, il y a eu aux États-Unis un phénomène très important qui est la presse magazine. Certains faisaient toute leur vie dans le « pulp ». Ça a été le cas de Jim Thompson. Je crois qu’il a été découvert aux États-Unis à l’âge de 70 ans, après avoir fait toute sa vie dans les magazines pulp, bon marché. Et puis à côté, il y avait les petits malins, qui allaient dans les beaux quartiers, dans les beaux salons. Ils ont fait deux, trois nouvelles pulp et tout de suite, ils se sont trouvés dans Collier’s, dans les grands magazine de prestige, et c’est le cas d’Hemingway.
Xavier Fournier : Le XIXe siècle est fascinant, parce que, que ça soit aux États-unis ou en Europe, c’est un moment où on se pose la question de ce qu’est la société et comment on la fait avancer. C’est le moment où il y a des soubresauts politiques qui font que, par exemple, en France, on passe de la Monarchie, à la République, à l’Empire… Ça veut dire que les gens qui étaient quadragénaires, n’avaient pas simplement connu un changement de premier ministre ou de gouvernement, mais de société. Ça posait la question de savoir ce qu’était la culture et à chaque nouvelle étape, il y avait des gens réactionnaires. C’est là-dedans qu’il y a le creuset pour les histoires de western, de science-fiction et de surhomme, dans cette séparation de culture officielle et de culture populaire. Et ça joue aussi pour les films.
Action !
Lewis Wilson (Batman) & Douglas Croft (Robin) dans le Batman de 1943
Et justement, comment ces deux genres se sont développés au cinéma ?
Christophe Champclaux : Le western, a donné dès 1904 un ou deux grands romans, mais très peu – il y a Le Virginien, d’Owen Wister – il n’était pas légitimé par le papier. Mais il y a eu une production pléthorique de films de western dès les années 1910. Les premiers ce sont des westerns français, ce sont les films de Jean Durand, mais la première Guerre mondiale a mis fin à ça. Et dès 1924, il y avait de très grandes séries, c’était devenu le genre populaire qui dominait tout le cinéma d’action aux États-Unis, et ça s’exportait…
Xavier Fournier : À plus forte raison, parce que pour les films muets, il suffisait de changer les cartons…
Christophe Champclaux : Par contre, malgré ce goût du public avéré et cette fourniture en série, c’était considéré comme de la sous-sous-sous culture. Il faudra attendre 20 ans, en 1939, pour qu’on commence à voir des très gros budgets, des très grosses vedettes – le phénomène va se produire avec les super-héros plus tard – comme Henry Fonda. On a coup sur coup La chevauchée fantastique, qui brille surtout par le nom de son réalisateur qui a eu plein d’Oscars, John Ford, et le film qui légitime le western – mais on ne dit pas que c’en est un – Le brigand bien aimé (Jesse James), d’Henry King, qui est présenté comme un film historique.
On va voir arriver à peu près à cette même période, les premières adaptations de comics. Certaines sont excellentes, il y a les Flash Gordon, deux séries du Frelon Vert, sympa, il y a aussi beaucoup de choses vraiment médiocres… Mais les super-héros n’ont pas de bol, à part la série animée Superman de Max Fleischer qui est remarquable. Surtout par rapport à ce qu’on fait à l’époque. Quand on voit le Batman de Columbia de 43, il a les oreilles qui tombent, le bide qui passe par-dessus la ceinture, c’est juste épouvantable, on voit vraiment qu’on se fout de la gueule du public.
Xavier Fournier : C’est vrai que le Batman de 43 était ridicule. C’est parce que c’était un « comic ». Les gens disaient que la BD n’était pas de la littérature, que le texte était forcément pauvre parce qu’il y avait de l’image, que les couleurs trop vives allaient rendre les enfants aveugles… C’est le genre de bêtises qu’on racontait. Ce qui fait qu’en 43, quand on fait Batman, on fait de la pantomime, on ne fait pas quelque chose de sérieux. C’est un truc qu’on va trouver pendant très, très longtemps pour les films de super-héros. On peut voir ça dans les Batman de Joel Schumacher où les trois-quarts de la distribution est morte de rire. On voit des gens comme Schwarzenegger morts de rires. Ils ne se comportent pas du tout pareil que pour les autres films dans lesquels ils ont pu jouer. C’est à dire que là, on est dans des films pour gamin, c’est les vacances et on rigole. Pourtant, il y a des personnages qui sont à la frontière des deux genres et qui n’étaient pas pensés que pour les enfants, comme Zorro…
Christophe Champclaux : Zorro était borderline avec sa double identité, mais il bénéficie de 20 ans d’antériorité, puisque le premier film est lancé en 1919, il sort en 1920 – très, très vite d’ailleurs puisque le pulp sort en 17 ou en 18. Au bout de vingts ans, il y a eu plusieurs incarnations du personnage et le 2e ou 3e serial est extraordinaire. Zorro et ses légionnaires, c’est fabuleux. Il n’y a pas beaucoup de films d’action de l’époque qui atteignent ça. Il est devenu légitime au bout de 20 ans, par la force des choses. Alors que les héros de papier qui sont apparus 10 ans auparavant seulement, non…
Xavier Fournier : Et puis, on pouvait être anti-western à l’époque, on pouvait critiquer, on pouvait les trouver trop violents…. Mais on ne pouvait pas dire que ça ne s’était pas passé. Alors que les films de super-héros on peut dire : « Il n’y a pas de fond de vérité ». Mais un certain nombre de personnages, même masqués sont relativement réalistes. Batman n’est jamais qu’une sorte de Sherlock Holmes un peu plus physique… Le mot super-héros d’ailleurs date de la première Guerre mondiale, c’était un mot appliqué aux soldats dans la presse. Quand les gens se sont rendus compte que le conflit dépassait tout ce qui était connu, ceux qui sortaient un peu de l’ordinaire, qui arrivaient à capturer un bataillon ennemi ou descendre un navire tout seul étaient considérés comme des « super-héros ». Il y a une liste de « super-héros » qui a été dressée par la presse. Et au début de la seconde guerre mondiale, on a mélangé les hommes mystères, les « mystery men » qui étaient les descendants des pulps – Batman, Shadow, tout ça – avec cette fonction guerrière de super-héros.
Homme d'acier / homme de fer
Superman And The Mole Men (1951)
C’est ce qui explique que les films de super-héros aient explosé après les Westerns qui ont connu leur moment de gloire bien plus tôt ?
Xavier Fournier : Ça a explosé des deux côtés, mais on a perdu une certaine mémoire du côté des super-héros parce que les effets vieillissent beaucoup plus vite, là où le Western est tellement identifié à l’époque qu’il en devient intemporel, de la même manière que le genre de cape et d’épée. L’armure ne va pas vieillir, le pistolet non plus. Mais prenez les vieux films de superman comme Superman contre les hommes-taupes, en 1951 : les hommes-taupes en question sont des Martiens joués par des nains, Superman vole, mais c’est une poupée accrochée à un fil. Ça a super mal vieilli, donc ça a une durée de vie limitée dans le temps et de génération en génération, il n’y a pas eu de transmission.
Christophe Champclaux : Et puis, quand on met un mec sur un cheval, s’il n’a pas trop l’air du mec de la ville déguisé, on y croit. Même James Stewart, qui a l’image du jeune premier urbain, passé la quarantaine, dans les films de Mann, il est tout a fait crédible. Alors que quand on allait voir Spiderman dans les années 1970 c’était épouvantable.
Xavier Fournier : C’était des téléfilms qui étaient diffusés en Europe comme des films.
Christophe Champclaux : Même les bagarres à coups de poings, c’était Star Trek, alors que ça faisait déjà dix ou douze ans qu’on avait Robert Conrad ou Gordon Scott dans les Tarzan des années 1950 qui se battaient super bien.
Xavier Fournier : La Tagline du premier Superman de Christopher Reeve c’était : « Vous allez croire qu’un homme peut voler ». Ce qui finalement sous-entend bien la différence. En gros tout ce qui avait été fait avant les années 1970 c’était des pratiques auxquelles ont ne pouvait pas s’accrocher. Pourquoi on a tardé à adapter les X-men au cinéma ? Parce que pendant un long moment on ne pouvait pas imaginer le budget qui serait nécessaire avec des effets physiques pour montrer à l’écran une demi-douzaine de personnages avec des pouvoirs différents. Le fait qu’on soit passé aux effets numériques fait que ça coûte le même prix de faire Hulk qui se transforme ou d’avoir l’armure d’Iron Man. Et puis, tout simplement, il y a autre chose qui a joué dans la réapparition des films de super-héros faits de manière un peu sérieuse à partir de Blade – encore que pour plein de gens, ce n’est pas un film de super-héros – c’est que, d’un seul coup, les décideurs de studios étaient des quadras qui avaient été élevés aux comics dans leur jeunesse et qui arrivaient à l’âge où on peut prendre des décisions.
Christophe Champclaux : On oppose beaucoup le réalisme et le caractère historique des westerns à la fiction superhéroïque, mais dans le fond, les archétypes des personnages sont assez similaires. Du coup les critiques de l’époque et le fait de faire des super-héros un genre enfantin n’était pas fondés. Captain America n’est pas tellement plus irréaliste que les shérifs pétris de valeurs américaines de John Wayne ou qu’un personnage historique à l’histoire romancée comme Wyatt Earp.
Xavier Fournier : Oui et ce qui est rigolo, c’est que quand on s’intéresse un peu à l’histoire, on se retrouve avec des trucs absolument improbable. Par exemple, en Australie, il y avait aussi des cow-boys et il y a eu un type, vers 1880, qui s’appelait Ned Kelly. Il a eu l’idée de se protéger lui et ses hommes avec des armures. Pourquoi c’est intéressant ? Parce que le brigand en armure, l’« Iron gangster » a beaucoup passionné à l’époque, il y a eu des films muets, des BD de western qui ont beaucoup raconté ça, y compris une BD de chez Marvel, où on voit un personnage avec un masque de fer et une armure sous un costume vert. Plus tard, il a inspiré le Docteur Fatalis. Donc il y a un lointain ancêtre réel du Docteur Fatalis.
Christophe Champclaux : A contrario, en 1957, John Sturges fait Règlements de comptes à OK Corral, que John Ford a déjà filmé. Et il reraconte l’histoire, 10 ans après la chute du système de censure, dans Sept secondes en enfer. Et on découvre, et c’est historique, que Wyatt Earp était en fait une crapule et quand ça devenait trop chaud pour lui, il se faisait embaucher comme shérif pour se racheter une virginité. Mais en fait, les Clanton, qu’il a flingués, n’étaient pas plus pourris que lui. Le premier, Règlements de comptes à OK corral, c’est un film qui est passé en France jusqu’à la fin des années 1990, alors que le deuxième a tout de suite disparu. Pendant 60 ans le western a menti, mais aussi parce que quand ils ont fait les premiers films, Wyatt Earp était vivant et servait de conseiller technique. Et comme il avait honte de ce qu’il avait vraiment fait, il ne l’a pas raconté.
Devoir d'actualité
Captain America: Civil War
Du coup, on se retrouve avec deux genres plus ou moins réalistes, considérés comme de la sous-culture et qui, en même temps, véhiculent des valeurs fondatrices de l’identité américaine avec parfois des visions assez contestataires ?
Christophe Champclaux : Oui, quand on voit Le Soldat de l’Hiver, on se dit : « Si quelqu’un fait ça en France, le film ne sort même pas. » Ce qui est raconté dans Le Soldat de l’Hiver, c’est 10 fois plus violent que ce que fait Boukhrief.
Xavier Fournier : Le public familial est allé voir ce Captain America en se disant : « On va aller voir du film de super-héros ». Et on leur a dit : « Vous savez, la survivance du régime nazi, c’est les États-Unis ». Et c’est un Américain qui leur a dit ça ! On regarde d’une manière très condescendante le cinéma américain en disant : « C’est du cinéma pop-corn », mais en même temps, je ne vois pas la même chose dans le cinéma ici.
Christophe Champclaux : Si un politicien dans un pays étranger s’amuse à dire qu’il y a un côté hégémonique dans la politique étrangère américaine, on va lui dire : « Monsieur vous faites le jeu des extrémismes… »
Xavier Fournier : Il y a un truc qu’on ne peut pas enlever à la culture américaine, c’est sa réactivité ; là où la culture européenne, française, à un moment s’est beaucoup figée dans un réflexe un peu séculaire. C’est aussi parce qu’à un moment, l’excès de réactivité avait posé des problèmes : il y a des bandes-dessinées de Bécassine où elle cassait de l’Allemand. Il est bien évident que Bécassine ça a été un des premiers trucs interdits sous l’occupation. Inversement, des cinéastes un petit peu trop légers dans leurs amitiés, l’ont senti passer au moment de la Libération. Ce qui fait que d’une certaine manière, le terrain politique à un moment dans la culture, dans l’art, a pris un peu ses distances. Dans les comics et dans un certain cinéma, quand il se passe quelque chose, y a la réverbération dans la culture. Quand il y a eu le 11 septembre 2001, deux mois et demi plus tard, Spider-Man était au pied des tours en train de les voir s’effondrer. Dans le cinéma, dès lors qu’il y a eu le Titanic, il y a eu une meute de films qui l’ont mis en scène en train de couler. Il y a toujours eu une espèce de devoir de témoignage, très intéressant d’un point de vue sociologique. Quelque part, il n’y a pas de filtre chez les américains. Ça peut avoir des inconvénients, parce que parfois ils disent des choses totalement stupides, mais aussi des avantages parce que ce sont des vrais témoins de leur époque.
De la même manière, quand on lit l’Odyssée ou l’Illiade, on se dit pas qu’il y avait des dieux en train de survoler Troie, mais quelque part ça témoigne des fantasmes des gens de cette époque. Il y a le même truc dans les westerns ou dans les films de super-héros parce qu’on parle de la société. Quand se construit la société ? Quand est-ce qu’elle est prise en défaut ? Comment on règle le problème ? Il y a des trucs relativement universels derrière l’air de country ou la cape.
Et malgré le succès en salle et cette relation avec la société de son époque, qu’est-ce qui a provoqué la chute du Western ?
Christophe Champclaux : Il y a les explications purement matérielles et celles qui relèvent plus de la psychologie de groupe. Ce qui est concret, dans les péplums, par exemple, c’est que Cléopâtre et La Chute de l’Empire romain, ont été deux énormes échec commerciaux – à relativiser, d’ailleurs puisque Cléopâtre était rentabilisé 6 ans après avec les ventes télé. En tout cas quand il est sorti, il a perdu de l’argent, la Chute de l’Empire romain aussi et donc on a arrêté.
Ça a été la même chose pour les Westerns avec La porte du Paradis qui est un film qui a coûté énormément cher. Après on a dit, on arrête. Maintenant, les westerns, il y en a mais ce sont des tout petits budgets, même si ce sont d’excellents films. Tous les ans, il y en a un ou deux quand même.
Xavier Fournier : Après ceux qu’ils ont essayé de vendre comme des blockbusters vont souvent droit au casse pipe, comme le Lone Ranger de Disney.
Christophe Champclaux :La Porte du Paradis c’était juste un prétexte, surtout que maintenant tout le monde est d’accord pour dire que c’était réellement un chef-d’oeuvre. Et on a bien vu qu’avec Gladiator, le péplum était reparti de plus belle. Quarante ans après Cléopâtre, tout le monde avait oublié son échec. Le problème du Western, c’est que dans l’histoire américaine, il y a trois zones noires. La toute dernière, elle commence à rentrer à peine dans la tête du public américain, mais ça rentre tout de suite dans l’histoire des super-héros c’est : « On en a peut-être un peu marre de bombarder la planète entière, les gens commencent à nous en vouloir et ils n’ont peut-être pas tort ». L’autre c’est l’esclavage, mais quelque chose qui est vraiment arrivé dès les années 1940, qui a été un peu ralenti par la chasse aux sorcières, c’est l’histoire indienne. Dans les années 1970 ça a explosé et c’est le crime impardonnable des Américains. Tous les Américains d’origine irlandaise se disent : « Mon grand-père a aidé à massacrer les indiens et je n’en suis pas fier ». Même John Ford.
Xavier Fournier : Et cette prise de conscience-là résonnait avec la guerre du Vietnam.
Christophe Champclaux : C’est ça. On ne pouvait plus faire l’histoire du cow-boy vertueux et sans reproche, parce qu’il y avait cette tâche, ce génocide.
Direction, le futur
Doctor Strange
Avec les films de super-héros on va connaître la même chose ? La contestation de la puissance américaine et le blockbuster de trop qui va faire décliner le genre comme l’a prédit Spielberg ?
Xavier Fournier : Tout lasse et tout casse, donc forcément, tout à une fin à un moment donné. C’est ce que disait Spielberg : ça ne durera pas. Ça capte beaucoup l’attention qu’il y ait des films de super-héros et que ça marche, mais en même temps, il faut raison garder. En ce moment, il y a environ sept films de super-héros par an. Dans le même temps, combien y a-t-il de films d’espionnage ? De comédies dramatiques ?
Le vrai truc, et ça a été la chance de Marvel, c’est que l’industrie du cinéma américain est en pleine révolution puisque la Chine s’est ouverte au cinéma, qu’ils construisent énormément de complexes cinématographiques là-bas et qu’ils sont gros consommateurs. C’est pour ça d’ailleurs que le Mandarin, qui est un cliché raciste dans les comics, n’apparaît pas du tout comme ça dans Iron Man 3. Pour l’instant, les super-héros sont portés par ce phénomène chinois depuis quatre ou cinq ans. On trouve qu’il y a un chiffre d’affaires constant dans les films de super héros, alors qu’il y a un nouveau public qui n’existait pas avant, donc ça fausse le résultat, ça compense l’épuisement aux États-Unis et dans le reste du monde.
Donc la survie des super-héros tient au public chinois ?
Xavier Fournier : C’est compliqué, parce qu’il suffit d’un krash boursier de plus et c’est terminé. L’avantage d’une bibliothèque de licences comme Marvel, DC Comics ou d’autres éditeurs, c’est que l’univers est beaucoup plus large que les super-héros. Marvel a des cow-boys, des agents secrets, etc. Donc ils peuvent très bien continuer d’exploiter leur univers partagé en faisant des exercices de genres complètement différents. Je ne dis pas qu’ils le feront, mais ils ont cette capacité-là. Avec 8 000 personnages copyrightés, ça laisse de la marge.
Christophe Champclaux : Et puis, il peut aussi y avoir des décisions politiques. Disney, avant que toute la direction soit décapitée, voulait mettre en avant John Carter. Le film a été sciemment descendus par ses chefs parce qu’ils étaient en négociation avec Lucas pour racheter Star Wars et qu’ils voulaient pas concurrencer la licence.
Xavier Fournier : Et surtout, c’est le public qui décide en sortant de la salle, en se disant : « Est-ce que je vais voir le suivant ? » Le cinéma, c’est une sorte de démocratie directe. Si le public décide de ne pas être là, ça s’arrête.
Liste des films de super-héros à venir (en se tenant aux dates de sorties annoncées à ce jour)
Xavier Fournier(www.xavierfournier.com) est le rédacteur en chef du magazine Comic Box, auteur de Super-héros, une histoire française et Super-héros, l’envers du costume, chez Huginn & Muninn/Fantask.
Christophe Champclaux (www.christophechampclaux.com) a réalisé le documentaire Les Territoires du western en 2006 et produit depuis 2013 le magazine Ciné Vintage pour MCE. Pour cette émission, il a co-écrit le livre Le Western et écrit Le Péplum (éditions Le courrier du livre).