Comic-books et politique
(Courant février 2017, j’ai été contacté par un étudiant, Justin Noto, en vue d’un dossier traitant des rapports entre comics et politique. Avec son accord, j’ai décidé de poster ici notre discussion – qui n’est en rien son dossier final – sachant qu’elle pourrait intéresser d’autres personnes et que… du coup cela m’évitera de répondre x fois aux mêmes questions)
Pensez-vous que les comics – et par là j’entends principalement les super-héros -, sont engagés, que ce soit politiquement ou socialement ? Ils semblent flirter avec la réalité (Civil War/Patriot Act de Bush – X-Men/Discrimination raciale – Obama/Spider-Man) mais affirment-ils réellement une position ?

« Bécassine mobilisée », 1918
Historiquement, des deux côtés de l’Atlantique, la BD est née dans la presse quotidienne et, dès les premières années, que ce soit en Amérique ou en Europe, les histoires ont été en prise réelle avec ce qui se passait au même moment. Ainsi en France on trouve, par exemple, des aventures de Bécassine luttant contre les Allemands au moment de la Première Guerre Mondiale. Aux Etats-Unis c’était pareil. Le métier de scénariste de BD/Comics était assez mal payé, on formait (et encore pas dans tous les cas) les dessinateurs mais pas ceux qui écrivaient les histoires, payés aussi chichement que s’ils avaient été vendeurs de journaux à la criée ou cireurs de chaussure. Et à une époque où on travaillait plus jeune, bon nombre de pionniers des comics ont commencé à produire leurs premières histoires alors qu’ils étaient adolescents. Dans ces conditions, sans grand moyen de faire des recherches, de se documenter, la façon la plus rapide, la plus efficace, d’étayer des histoires était encore de s’inspirer de ce qui se passait dans la presse.

« Et si… Captain America avait été élu Président des USA », Dans What If #26. avril 1981
Ainsi dès les premiers épisodes, Superman a une forte conscience sociale, passe en revue tous les problèmes de la société. Par exemple dans un épisode il constate qu’il y a trop de morts sur la route, décide que cela vient de la fragilité des voitures, va voir les constructeurs automobiles et… menace de détruire leurs usines s’ils ne construisent pas des véhicules plus solides. Au pays de Ford, à la fin des années 30, ce n’est quand même pas anodin.
Après, là où les choses diffèrent des deux côtés de l’Atlantique, c’est au moment de l’Occupation. Les Allemands sont arrivés, ont interdit ceux qui avaient pris position contre eux et refusaient de retourner leur veste (la production de Bécassine fut interdite, par exemple). Puis arrive la Libération et ce sont alors ceux qui s’étaient rangés du côté des Allemands à qui l’on reproche leur prise de position.
Si bien que la BD Franco-Belge va se dire pendant des décennies qu’il vaut mieux se tenir à l’écart des questions de politique et de sociétés. Aux USA, au contraire, la fonction « parabole de la société » va rester en marche. Quand il arrive quelque chose d’important en Amérique, cela fini forcément par se répercuter dans un ou plusieurs comics quelques mois, voire quelques semaines plus tard.

The Big Lie (« Le Grand Mensonge »), 2011, de Rick Veitch et Gary Erskine, dans lequel une voyageuse du temps tente d’empêcher les attentats du 9/11, tout en soulignant dans le même temps les incohérences de la version officielle.
Oui, clairement, la série Civil War de Mark Millar et Steve McNiven est une parabole du « tout répressif » de G.W. Bush dans l’après 9/11 et du Patriot Act. Mark Millar s’est toujours défendu d’avoir voulu trancher pour le lecteur mais fondamentalement, quand on parcourt l’histoire, on voit bien que les tenants des libertés individuelles sont les héros tandis que ceux qui veulent un régime sécuritaire sont dépeints comme des antagonistes. Dès lors qu’on identifie « le bon » et le « mauvais », il y a prise de position. Après, la présence d’Obama dans un épisode de Spider-Man est un exercice totalement différent. Obama, pendant sa première campagne présidentielle, était le premier homme politique majeur depuis longtemps à afficher son côté « geek », revendiquer le fait qu’il suivait des séries TV, lisait des comics. Un comic-book intéressant mais méconnu, Savage Dragon, a donc annoncé la présence d’Obama en guest-star dans un numéro à venir et les précommandes ont fait un bond. Si bien que Marvel, constatant cela, a bondi sur l’occasion, programmé un épisode de Spider-Man avec Obama qui a été le record de ventes de sa décennie. Mais là c’est vraiment très différent que de réagir à un évènement ou une politique, il s’agit plus de correspondre à la mode du moment. Quand la mode était au disco, les comics produisaient quelques personnages « disco ». Là, la mode était à Obama…